Structurer un projet d'intérêt collectif au sein d'un Tiers-lieu
"Interrogeons-nous sur votre capacité à mobiliser un collectif autour de votre projet de tiers-lieu (TL)" une question que nous posons souvent aux porteurs de projet de TL .
Évidemment, le tiers-lieu est constitué par plus d'une personne, et à notre sens plus de 2 ou 3 personnes. Les projets naissent le plus souvent de l’impulsion d'une collectivité territoriale ou d'une structure propriétaire d'un foncier - généralement en friche. Par la suite, des personnes s'agrègent autour de cette envie de tiers-lieu, pour constituer ce que les juristes appellent une association de fait, c'est à dire un regroupement de personnes dépourvu de la personnalité juridique.
Rapidement, cette structure informelle présente des limites : assurance, manière de s'organiser pour recevoir des contributions en échange des activités proposées... Aussi, progressivement, l'association de fait se transformera en association régie par la loi du 1er juillet 1901 - parfois qualifiée d'association de préfiguration. Le choix du statut associatif est privilégié par les bénéficiaires car ils disposent ainsi d'une grande liberté statutaire - on peut faire à peu près tout ce qu'on veut avec ce type de statut – mais à notre sens ce modèle présente de réelles difficultés à long terme. Nous en avons identifié trois :
1- D’abord, le modèle associatif souffre d’une insécurité fiscale marquée - l'association, pour ne pas être assujettie aux impôts commerciaux devra - au-delà d’être gérée de manière désintéressée - proposer des activités qui devront être majoritairement considérées comme non lucratives au sens fiscal. A savoir, la doctrine fiscale a développé une méthode assez géniale pour qualifier cette situation. En effet, elle identifie les activités qui répondent à des besoins non couverts sur le territoire, qui sont susceptibles d’accueillir un public en situation de fragilité, qui sont proposées avec un prix nettement inférieur au prix du marché ou qui ne font pas l’objet d’une publicité. Ces activités considérées comme d’utilité sociale méritent d’être valorisées par un avantage fiscal !
2- En outre, le modèle associatif pourrait souffrir d’une gouvernance instable. Nous connaissons bien « les coups d'état associatifs » qui sont, à notre sens, le corolaire de cette (trop) grande liberté statutaire.
3- Enfin, le modèle associatif apparaît moins crédible pour beaucoup de (potentielles) parties prenantes. Il sera a priori plus difficile de mobiliser des financeurs sur une entreprise logée dans une association. »
A ce stade, réfléchir à une autre forme juridique adaptée au projet de Tiers Lieu n’est pas idiot. Peut-être - dès que le tiers lieu grossit – devrait-on passer sur une structuration plus complexe ? La pratique nous a permis de développer une forme « standardisée » qui nous sert de modèle sur nos montages « Tiers Lieux » : une structure « foncière » s’appuyant sur l’existence d’une structure d’exploitation coopérative et sur des structures associatives valorisant l’utilité sociale et l’intérêt général du projet.
Nous constituons une première structure « chapeau » foncière qui va détenir des droits réels sur le bien mis à disposition. A ce stade, nous envisageons trois types de structures. Le choix se réalise en fonction des valeurs défendues par le bénéficiaire :
1- soit une structure patrimoniale du type Société Civile Immobilière (SCI) ou société commerciale de l’ESS qui vont plus facilement attirer les financeurs qu’une structure associative ou coopérative ;
- soit une structure non spéculative du type SCIC - Société Coopérative d'Intérêt Collectif - il s'agit d'une société commerciale sur laquelle on impose un chapeau coopératif. C'est une forme assez peu connue du grand public. La SCIC peut porter le foncier mais avec une contrainte pour les éventuels financeurs : la lucrativité est limitée à 2% par an.
- enfin, certains s’entêtent à opter pour l'a-capitalisme associatif. Cette forme n’attire que rarement des financeurs. Nous la déconseillons en pratique.
A cette structure chapeau, on rajoute une structure d'exploitation, qui portera l'activité commerciale ou agricole. L'activité sera lucrative au sens du droit fiscal (le reste des activités d’utilité sociale sera logé dans une association pour qu’elles ne puissent pas être imposées). Nous conseillons utilement la SCIC-SA car elle allie le bénéfice d'une image non spéculative et d’une grande capacité à réaliser des partenariats avec les collectivités territoriales. D’une part, ces dernières pourront leur octroyer des aides dans la limite du règlement européen dit « de minimis » (200 000 euros sur 3 ans sauf à bénéficier de la qualification de SIEG qui élève la perspective à 500 000 euros sur la même période). D’autre part, la SCIC admet la prise de capital par la collectivité territoriale sans que soit exigé un avis conforme du Conseil d'Etat. A titre d’exemple, la Ville de Rennes est entrée au capital de Ressources T - la SCIC qui gère ENVIE. De quoi donner des idées à d’autres projets ! Dernier atout de la SCIC-SA : elle peut proposer des titres participatifs au public. Une belle manière d’attirer des financeurs car ces titres dérogent à la limitation classique de rémunération des titres imposée aux SCIC !
Enfin, le modèle complexe est complété par une ou plusieurs structures associatives d'intérêt général. Elles porteront une partie de l’exploitation considérée comme d’utilité sociale voire d’intérêt général. Ainsi, sur cette partie de l’activité, le projet bénéficiera d’avantages fiscaux intéressants A titre d’exemple, nous envisageons régulièrement une association organisatrice de spectacles vivants. L’association détentrice d’une licence spectacle bénéficie d'une niche fiscale – elle est fiscalisée et peut malgré tout capter du mécénat. Autre atout de la forme associative : bénéficier de l’agrément permettant l’accueil de volontaires en service civique.